Toutes les critiques

mercredi 13 février 2008

TEULE Jean, Je, François Villon, 2006 - Par Tristan

François Villon (avec un V) est un poète français du XVe siècle ; grand personnage de la littérature du Moyen-Âge, il a par la suite inspiré Rimbaud et Verlaine, en inventant la figure du poète maudit, punk et anarchiste. Souvenez-vous de l’espèce de boulet, en terminale L, habillé de noir, qui fréquentait les clochards et les rades pourris en déclamant du Baudelaire : il devait tout à François Villon. Sauf qu’il ne le savait pas. Et que, on y reviendra, il était finalement nettement plus sympathique que le héros du livre qui fait l’objet de cette fiche de lecture.

Je, François Villon, de Jean Teulé. (Jean Teulé, le gars des petites boules noires et blanches du temps de la splendeur de Nulle Part Ailleurs, a écrit plusieurs BD et romans ; son François Villon boucle une trilogie commencée avec des romans biographiques sur Rimbaud et Verlaine.) Le titre est tiré de la première phrase du Testament de Villon, son œuvre majeure de plus de 2000 vers, et qui est une sorte de récit de vie – une vie tourmentée, violente, que Jean Teulé s’approprie en écrivant cette biographie romancée à la première personne. Grâce au Testament et aux nombreux procès concernant Villon, on connaît beaucoup de détails de sa vie – même si, bien sûr, beaucoup d’épisodes restent des hypothèses. On lit un roman, mais un roman bien documenté.

C’est la grande réussite de ce livre : on est plongé la tête la première dans la vie du poète et, par son truchement (quand j’étais au lycée, j’essayais de placer truchement dans toutes mes dissertations), dans le Paris de la fin du Moyen-Âge. François Villon est peut-être né le jour de l’exécution de Jeanne d’Arc ; la Guerre de Cent ans se termine ; la France est misérable, une épidémie de peste va décimer le royaume ; des hordes d’anciens soldats pillent les campagnes. Paris est une ville puante, sale, violente ; on y vole, on y torture en place publique ; les voleurs ont les oreilles coupées ou sont enterrés vivants…

C’est dans ce Paris que Villon a vécu, c’est ce Paris qu’il décrit dans ses œuvres. Avant Villon, la poésie état bucolique, petites fleurs et petits oiseaux. Avec Villon, elle entre dans le réel ; il écrit le monde qu’il vit, celui des putes, des voleurs et des assassins ; des bars louches et des bordels ; il écrit la misère, la puanteur, la merde, la mort. En adoptant le Je, Jean Teulé adopte le même ton ; son livre est visuel, réel et, à l’image de son objet, violent. Car, et c’est en cela que le livre devient dérangeant, François Villon n’est pas un enfant de cœur. Né dans la violence, il y prospère. L’enfant turbulent, poète des gueux, des voleurs et des assassins, devient à son tour un gueux, un voleur, un assassin. Le héros, d’abord sympathique poète qui nous fait rire avec ses ballades (Tout aux tavernes et aux filles !), nous narre à la première personne les actes de plus en plus odieux qu’il commet ou laisse commettre. Et on est bientôt pris de nausée. J’ai dit que le livre était réaliste : il devient insoutenable – vraiment, certains passages sont difficiles.

Précurseur des poètes maudits, François Villon est en quête d’absolue liberté, jusqu’à l’extrême. Dans Les Particules élémentaires, Michel Houellebecq dresse un parallèle entre les serial killers des 90s et les hippies des 60s : « Après avoir épuisé les jouissances sexuelles, il était normal que les individus libérés des contraintes morales ordinaires se tournent vers les jouissances plus larges de la cruauté. » Bon, Houellebecq est un peu réac sur les bords, mais vous voyez le topo.

Nous est donc contée la vie (horrifiante) de François Villon ; en semant le malheur autour de lui et sur lui-même, il trouve son inspiration pour ses textes (admirables). Un malaise nous saisit. Idolâtré par Verlaine, chanté par Brassens, il nous a légué des vers merveilleux. Nous qui les aimons, nous qui en profitons, ne sommes-nous pas ses complices ?

2 commentaires:

Louis BERNARD a dit…

Super Tristan,

Merci à nouveau pour ta contribution à ce blog - joli article en vérité.

Anonyme a dit…

C'est françois Fillon!
;-)