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mardi 7 août 2007

ISHIGURO Kazuo, The Remains of the Day, 1989

Ce livre est peut-être l'une des plus belles choses que j'ai lues, en anglais en tous cas c'est sûr. La perfection de l'utilisation de langue est tout simplement ahurissante.
J'espère qu'il a été traduit comme il se doit. Difficile ça, la traduction. Moi j'ai la chance de pouvoir lire en français et en anglais, et donc je ne lis pas de traductions pour ces deux langues. Bon, j'en lis pour d'autres, récemment par exemple, Cent Ans de Solitude de Gracia Marquez. Aussi vous me direz ce que vous en pensez mais je suis parfois étonné que la traduction fonctionne dans une langue et pas dans une autre. Par exemple, L'Insoutenable Légèreté de l'Etre de Milan Kundera est un livre formidable, qui déchire, et je l'ai découvert en français, traduit du tchèque. Et bien croyez-moi si vous voulez mais The Unbearable Lightness of Being est un livre beaucoup moins bien, presque un autre livre en fait. Traduttore Tradittore. Je sais que Kundera, une fois émigré en France, a repris les traductions, les a "revues et corrigées" lui-même pour réédition, ce qui aide. D'ailleurs maintenant il n'écrit plus qu'en français. Donc mon exemple est mal choisi, mais en même temps c'est le seul auteur d'une langue tierce que j'ai lu en anglais et en français, donc il faudrait que je lise A Hundred Years of Solitude pour apporter du grain à moudre à ce monologue. En plus, les gens qui auront lu le dernier Kundera, Le Rideau, sauront à quel point je choisis mal mes exemples, puisque dans cet essai Kundera lui-même dit que la traduction n'est pas un problème, que des grands esprits européens ont fait avancer leur réflexion en se basant sur des livres d'autres philosophes ou auteurs lus, et assimilés, dans des traductions. Ça ne dérange donc pas notre traveller tchèque national. Mais bon, je ne me résouds pour ma part à la traduction qu'à défaut de pouvoir lire l'espagnol, ou le tchèque, et toutes les autres langues du monde. Ce ne serait pas un kiffe absolu, ça, pouvoir lire dans toutes les langues du monde ?

Bref, The Remains of The Day est l'un de ces livres pour lesquels tu remercie le ciel, ou l'école républicaine dans mon cas, de t'avoir donné la possibilité de lire en anglais, car je sais au fond de moi que la traduction ne pourrait pas être aussi belle. Aucune envie d'essayer pour savoir si j'ai raison, d'ailleurs.
C'est l'histoire d'un maître de maison, un butler, en charge du manoir d'un lord qui a été, après la Seconde Guerre mondiale, rachetée par un Américain. Au cours de ses pensées, l'auteur nous retrace la période de ce qu'on appelle injustement l'Entre-Deux guerres, mais qui justement, à la lecture du livre, nous apparaît comme bel et bien un après-guerre. En filigrane, Ishiguro nous présente une période méconnue de l'histoire européenne, la diplomatie parallèle de certains lords anglais qui ont essayé coûte que coûte d'éviter la guerre, au prix de sacrifices moraux qui ne paraissent grands qu'après coup, mais qu'il devait être bien difficile de juger sur le moment. Notre maître d'hôtel, lui, ne juge pas, ne participe pas, s'interdit de penser au-delà de sa tâche, au point de passer à côté de l'amour, de la vie, de l'Histoire. Il est, cependant, irréprochable dans son travail à lui. Moi, je suis Français, donc je porte la responsabilité collective de la collaboration et de la déportation, autant dire que je suis bien le dernier à pouvoir juger l'appeasement policy. Je suis ouvert aux commentaires cependant. Ce livre a fait l'objet d'une adaptation au cinéma par James Ivory, avec Anthony Hopkins (et Christopher Reeve encore debout). J'ai vu la bande annonce l'autre jour et j'ai pas envie envie de le voir. Autre débat, que je ne commencerai pas ici, celui de l'adaptation.

Ce thème d'une personne rattrapée par une Histoire qu'il ne comprend plus est un thème récurrent de Ishiguro, qui le traite dans son premier roman A Pale View of the Hills, mais surtout dans An Artist of the Floating World. (Ca remet en question le jugement sévère que je portais sur Malraux quand j'ai appris vers 16 ans qu'il avait rejeté Mai-68).
Tous les livres de Ishiguro sont formidables, tous. D'ailleurs j'ai oublié de vous dire que l'auteur est né au Japon, et n'est arrivé en Grande-Bretagne qu'à 5 ans, donc qu'il écrit magnifiquement dans une langue d'adoption, ce qui m'abasourdit encore plus, comme pour Les Bienveillantes de Jonathan Littel (pour lequel je me demande ce qu'une critique de plus pourrait bien apporter). Je ne saurais trop vous conseiller, au monde entier, de lire ce mec, dans n'importe quel langue d'ailleurs. Depuis que j'ai lu Never Let Me Go, son dernier, je me suis forcé à attendre un peu avant d'attaquer The Unconsoled, parce que je sais que ensuite, ce sera fini jusqu'à ce qu'il publie à nouveau. Et toi, lecteur assidu de ce blog, tu connais mon impatience.

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