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dimanche 2 décembre 2007

ORGA Irfan, Portrait of a Turkish Family, 1950

J'ai trouvé Portrait of a Turkish Family dans une petite librairie anglophone à Istanbul, la Galeri Kayseri. Le type qui tient cette librairie est un vieil homme passionné qui vous parlera pendant une demi-heure de la dernière trouvaille littéraire qu'il a fait, la plupart sur l'histoire de la Turquie, des livres de voyages, de photos, des livres sur l'Islam etc. Il a été mentionné un jour dans le New York Times, et il n'en est pas peu fier. Bref une de ces librairies croisée par hasard dans une ville un peu lointaine, qui t'a tellement marquée que tu te promets que quelque soit le moment, si un jour tu remets les pieds dans cette ville, tu y retourneras. Mais pas tout de suite, parce que le libraire bavard susmentionné a réussi à me faire repartir avec deux autres bouquins, le bougre.

Cet article va être intéressant à écrire parce que j'ai pas été fan-fan du livre, mais je vais essayer de vous présenter ici mon pour et contre de sa lecture, et je vous laisserai, comme d'habitude, choisir si vous voulez me suivre ou non, et resterai dans l'espoir naïf qu'un jour l'un d'entre vous, l'ayant lu aussi, me placera un petit commentaire, voire (je rève...) une critique alternative. Ce livre montre, par les yeux d'un enfant qui grandit, un pays qui se transforme. Comme ça, ça a l'air cliché, et dans une certaine mesure ça l'est, mais ça reste un livre intéressant à plusieurs titres.

Déjà, je me suis rendu compte il y a quelques années que je ne connaissais rien à la Turquie, et que j'avais tort. C'est l'un de ces pays que le XXème siècle à complètement chamboulé (bon, ok, tous les pays, mais singulièrement en l'occurrence). Rien que ces dernières années, où, donc, je m'intéresse un peu plus à la Turquie, c'est assez fascinant. Vous en connaissez beaucoup, vous, des pays où on compte sur l'Armée pour garantir la laïcité ? Ou les islamistes sont démocrates, à la manière des démocrates-chrétiens ? Ou les femmes votent depuis 1930 ? Un pays à 98% musulman, pourtant avec une séparation du religieux et du politique, depuis 80 ans ? Ou les jeunes, hyper-européens (je me refuse à dire 'européanisés', ils sont européens, point) vous disent que vu le gouvernement actuel à notre place ils refuseraient aussi de les laisser entre dans l'Union? Un pays enfin, qui déchaîne les passions quant à son accession à l'Union: Sur des arguments soit faiblards (Géographique : l'argument est tombé quand Chypre est arrivée); religieux (non seulement l'UE n'a rien d'une construction religieuse chrétienne, et en plus on promet l'accession à la Bosnie, sérieusement musulmane); ou des arguments qui tiennent la route (Grosse carence au niveau des Droits de l'Homme, enfin surtout de la Femme). Bref ce pays est un grand point d'interrogation, un chamboulement permanent, qui nous oblige à une remise en cause de notre idée de l'Europe et c'est pas trop tôt, qui a pu donner des leçons de laïcité à pas mal de pays (et un peu moins ces temps-ci). Ce pays a fait des efforts droits-de-l'hommistes énormes, et a encore du boulot mais leur claquer le porte au nez n'aidera pas (imaginez une seule seconde que les USA capturent Ben Laden, vous pensez vraiment qu'ils le laisseront vivre ? La Turquie a laissé vivre Öcalan) ... Et ce pays est pour toutes ces raisons et bien d'autres, source de fascination pour moi.

Sur un banc public à Istanbul, je commence ce livre fraîchement acquis, donc, et ça commence très bien. Le jeune Irfan est issu d'une famille aristocratique très riche et très bien placée dans la société stambouliote (j'adore ce mot). Le faste des dîners et des visites au hammam entourées de serviteurs cachent les fondations fragiles d'une caste en fin de vie. Et la Première Guerre mondiale va tout briser. Le monde de cette aristocratie d'un autre siècle tombe comme un chateau de cartes, la mère d'Irfan autrefois maquillée et manucurée est obligée d'aller travailler dans les ateliers de couture, son père et son oncle partent à la guerre comme simple soldats, lui et son petit frère vivotent de petit boulots etc. Bon, c'est assez mélo-mélo, mais apparemment tout est véridique donc c'est intéressant, en tout cas par son exemplarité : En trente années, la Turquie change du tout au tout, et les repères de cette belle famille ont explosé pour faire place à l'ordre nouveau. Comme à mon habitude je n'irai pas plus loin sur l'histoire, pour ne rien vous gâcher.

Le gros problème de ce bouquin, comme souvent les autobiographies, surtout couplées à un récit historique, c'est un style pompier incroyablement lourd et péremptoire. Vraiment, vraiment, fatiguant d'emphases et de circonvolutions. Quand en plus c'est pour décrire les splendides couchers de soleil sur la mer de Marmara, sérieusement tu préférerais avoir dans les mains un bon vieux Harlequin, après les couchers de soleil au moins, ils font des trucs, ils ne crèvent pas de faim comme ici.

Deuxième gros problème, des prises de positions à la limite de l'acceptable, sans jamais complètement tomber dedans : un brin de condescendance antidémocratique par rapport aux inférieurs auquel la famille Orga doit finalement se mesurer, et deux-trois passages qui impliquent que la mère, quand elle était aristo et voilée, était un peu plus libre que non voilée à la vue de tous au travail, bon faut pas pousser. Amis lecteurs, si il y en a parmis vous qui pensent que le voile islamique libère la femme, je vous en prie, commentez mon article : je ne suis pas, mais alors pas du tout d'accord. Rajoutez à ça un épisode insoutenable de visite d'un brocanteur juif à la maison familiale, écrit de façon complètement antisémite (je sais, Turquie des années 20, il faut comprendre le contexte, blahblahblah, rien du tout, un antisémite est un antisémite) et le fait que la libération de ce jeune homme et son insertion dans la vie adulte, son estime de soi etc. se font dans une académie militaire où il rentre à genre 10 ans, et là j'ai complètement décroché. J'ai terminé le livre avec difficulté, et surtout avec des émotions partagées, c'est le moins qu'on puisse dire. Ca me suffit pour dire que ça en fait une lecture enrichissante.

2 commentaires:

Tristan a dit…

A propos de Turquie, j'ai regardé Midnight Express hier soir, c'est fou comme l'acteur (feu Brad Davis) est le sosie parfait de Brad Pitt !
(Et Jean-Michel Jarre le sosie de Georgio Moroder.)

Anonyme a dit…

je viens de lire ce livre en traduction française: le style ne m'a posé aucun problème, je l'ai même trouvé plutôt bien écrit.
Pour le reste, vous en avez fait, semble-t'il, une lecture un peu "politique" et subjective.
Pour le voile par exemple, la mère le considère, comme vous, comme une marque d'aliénation ;l'auteur décrit alors la réaction négative de la société turque de l'époque, sans prendre parti.
De même, les préjugés antisémites de la grand-mère ne l'engage pas.