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vendredi 17 août 2007

LITTEL Jonathan, Les Bienveillantes, 2006

Bon, c'est face à la pression du Courrier des Lecteurs que je vais m'atteler à faire ce que le monde entier a fait avant moi : critiquer Les Bienveillantes. Les Bienveillantes est l'un des plus gros succès de librairie en France depuis pas mal de temps, il approcherait les 300 000 exemplaires vendus, et il ne fait pas partie de la série des Harry Potter, alors, Choipeau.

C'est aussi l'un des livres les plus exigeants en concentration, et en persévérance, produits depuis longtemps en langue française. Je supporte mal les gens qui font l'apologie d'un livre en me disant "Ca se lit vite". Quel genre d'argument c'est, sans déconner, d'applaudir un livre vite lu ? En plus, un livre ne se lit pas, il est lu. Le lecteur est acteur, il choisit quand l'ouvrir et quand le refermer, il choisit de persévérer ou de le balancer furieusement vers l'étagère. Mais je m'égare. Les Bienveillantes n'est pas, vraiment pas, un livre qui "se lit vite". Si vous ètes de ceux qui aiment cet argument, prenez autre chose. (Allez, juste pour le plaisir : lisez Coelho ou Werber ou Jardin, comme tout le monde, ça, au moins, "ça se lit vite"!). Les Bienveillantes est une lecture crevante, souvent insoutenable, mais pas d'ennui, de douleur. Comme vous le savez déjà, ça raconte tout simplement les expériences d'un jeune officier SS, Max, pendant la Seconde guerre mondiale. Ca raconte, en fait, avec un détail inégalé la machine idéologique, politique, répressive, impérialiste, qu'était le Troisième Reich, de l'intérieur.

Autant le dire tout de suite, je ne suis pas, mais alors pas du tout de ceux qui rebondissent dans Libé en disant que ce livre est dangereux parce qu'il met en scène un jeune homme un peu comme les autres qui devient, par la force des choses, un pion dans le système nazi. Non, ce livre ne "banalise pas" le nazisme, et non, mille fois non, il ne l'"humanise" pas. En lisant ce livre, on ne se dit pas : "Oh, en fait, tous ces malades sont des gens comme vous et moi, c'est pas bien grave, c'était décidé au-dessus de leur tête de toutes façons, ils ne sont pas vraiement responsables..." Pas une seule seconde le personnage de Max n'a attiré ma sympathie. Pas une seule seconde, le récit des camps ou des fosses communes n'a humanisé, dans mon esprit de lecteur, les tortionnaires.

De toutes façons il commence à me gonfler sec ce vieux débat de l'influence de la fiction sur les gens. Comme ces associations de mères protestantes qui ont crié au loup quand on a retrouvé le DVD de Matrix chez les tireurs de Columbine, comme si c'était le film qui était coupable, et pas les parents, le marchand d'armes online, les gosses eux-mêmes. Il y a trois ans, en France, un gamin a tué de coups de couteaux sa petite copine. L'enquète a montré par la suite qu'il avait regardé Shrek ce même jour. Et bien voilà ! Retirons Shrek, on supprimera la violence enfantine, c'est très simple ! Vous n'avez pas idée comme ça m'énerve. Comme tous ces tocards qui nous disent que Orange Mécanique a rendu les jeunes violents, alors que le film est basé sur un livre qui est lui, basé sur un fait divers réel ! C'est le monde à l'envers. Il faut toujours, toujours, taper sur la fiction, c'est facile et ça donne bonne conscience. Quelle blague ! Vous allez encore dire que j'utilise des arguments à deux balles, et vous aurez raison, mais au Moyen-Age il n'y avait pas de films, et pas de livres de fiction (ok, sauf la Bible), et la société était mille fois plus violente ! Laissez les écrivains et les metteurs en scène tranquilles, s'il vous plaît, Messieurs les censeurs, trouvez-vous un autre combat, par pitié. Tant que vos enfants verront plein de films et liront plein de livres, il seront à l'abri de votre bétise, croyez-moi. Les sociétés sans films et sans livres dans le monde aujourd'hui sont très probablement les plus violentes, occupez-vous de ça, plutôt.

Bref, Les Bienveillantes, ai-je lu, dédiabolise le sytème nazi. Foutaises ! Je suis sûr que tous ces braves gens ont A-do-ré le film La Vie est Belle de Benguigui, dans lequel on peut chanter, danser et mettre un gramophone sur les hauts-parleurs d'un camp de concentration. Ce que je pense, moi, c'est qu'un type qui est assez bète, ou lavé du cerveau par son Droit à Lyon III, pour dire que les nazis n'étaient pas si mauvais que ça, est rarement de ceux qui s'envoient un livre de 900 pages, dans lequel on lit de façon répétée que les Standartenführer sont au-dessus des Obersturmführer (ou l'inverse), et ou l'on disserte pendant 200 pages si oui ou non les Tats des montagnes sont Juifs. Et quand bien même il le lirait, il est négationniste, ce n'est pas la faute au livre.

Oui, Les Bienveillantes est un livre comme vous n'en n'avez jamais lu, et c'est quand même une bonne chose. Mais je pense que le roman, ici, est un prétexte pour acquérir une plus large audience pour un travail qui, finalement, n'est ni plus ni moins qu'une recherche encyclopédique, érudite comme c'est pas permis, du nazisme. Les parties romancées du livres sont, à vrai dire, un peu fades : les passages de Max incestueux avec sa soeur, les scènes avec sa famille, l'enquète policière qui le suit, tout ça est assez oubliable. La fin, particulièrement, est grand-guignolesque. Aussi, hors d'un roman, l'aventure de Max est invraisemblable. Quel officier SS a, entre autres : été médaillé par Hitler, bu des verres avec Brasillach à St-Germain, combattu à Stalingrad, repris son souffle en Crimée, participé à Auchwitz, chassé avec Speer, creusé des fosses communes en Ukraine, etc ? Aucun, probablement. D'où mon argument : Littel se sert de la forme littéraire pour nous apporter de la connaissance historique, élargie. Et je ne lui en veux pas, c'est incroyable le nombre de choses que l'on apprend à la lecture des Bienveillantes. Je le maintiens, ça rend plus intelligent, pas l'inverse.

On doit applaudir le fait que Littel écrit dans une langue qui n'est pas sa langue maternelle. Je l'ai déjà dit ici pour Ishiguro, ça m'épate. Il a donc eu le Prix Goncourt en 2006. Voilà, je le dit une fois pour toutes : je me fous des Prix. Ils me donnent tous l'impression d'être offerts par des vieux croulants qui arrosent leurs potes. En plus, souvent, je ne suis pas d'accord. En 2005 au finish il y avait Trois Jours chez ma Mère de Weyergans et La Possibilité d'une Ile de Houellebecq, j'a lu les deux, et je l'aurait donné à Houellebecq cent fois, qui ne l'a pas eu. J'ai décidé de difinitivement arréter de comprendre comment fonctionnaient les jury depuis que j'ai appris que le Prix InterAlliés n'était pas décerné par l'OTAN. End of story.

6 commentaires:

Anonyme a dit…

Bon Ok, je ne vais pas la ramener parce que tu as dit une connerie sur le Moyen Age et faire mon historienne relou. Je sais que c'est juste pour la blague, d'un anticléricalisme primaire, mais ça fait parfois du bien. Je te rappelle juste que Chrétien de Troyes était au programme l'année où nous avons passé le Bac.
Tout ça pour dire, félicitations pour ton blog, je viens de lire deux de tes critiques de bouquins que j'ai pas lu et ça a plutôt confirmer mon envi de les lire. Allez, j'avoue, je n'ai rien lu depuis HP7, mais je viens d'acheter un bouquin de Jane Austen et d'emprunter... Les Bienveillantes!
Des bisous à toi, salut à tous,
Aurélie

Louis BERNARD a dit…

Ok, Chrétien de Troyes m'a échappé. Donc il y avait des livres et des contes de fiction au Moyen-Age. Merci, Aurélie, de m'avoir rappellé le bac, si loin, si proche ... C'est ABMT qui t'a filé Les Bienveillantes, non? Si oui, c'est ma copie, donc c'est interdit de s'en servir pour caler le canapé.

Anonyme a dit…

Le pavé des bienveillantes n'est pas fait pour caler les canapés? A raison de 800 hectares de forêts, soit 357 artères de bois, transormés par 2 usines en Sibérie orientales pour les usines Ikea... à vue de nez ça fait bien un câle Strömlid!
Je m'en vais lire la critique des Bienveillantes... et merci pour tes posts qui me permettent de faire illusion dans les dîners en ville.

Tristan a dit…

Bon, j'ai fini ce pavé il y a quelques jours. En gros, j'ai trouvé ça très bien, surtout pour le côté historique, le détail de la campagne de l'est, de la chute de Berlin, tous ces aspects moins connus des Français.

Une grosse critique cependant : la précision historique, c'est bien, mais était-il vraiment indispensable de nous mettre des Obersturmbannführer, des WVHA et des AOK toutes les 2 lignes ? Parfois, on a l'impression que Littel n'écrit pas pour ses lecteurs, mais cherche à convaincre un vieux professeur qu'il aurait pu écrire une thèse d'histoire sur l'organisation nazie. De même, moi qui ne parle ni allemand, ni russe, j'ai trouvé assez relou les citations non traduites. Je trouve que ça fait un peu syndrome "1re année à Sciences Po", j'essaie à tout prix de montrer que je sais plein de trucs... C'est dommage.

Enfin bon, le principal intérêt, au-delà de l'histoire, est surtout de rentrer dans la pensée des criminels, et de bien montrer les mécanismes de justification (pour faire mon syndrome Sciences Po : une bonne illustration de l'expérience de Milgram). Le passage, au début du livre, où il dit en gros que tout le monde est responsable, est assez édifiant.

Tristan a dit…

Je relis ta critique du livre,
Tu dis "En lisant ce livre, on ne se dit pas : "Oh, en fait, tous ces malades sont des gens comme vous et moi, c'est pas bien grave, c'était décidé au-dessus de leur tête de toutes façons, ils ne sont pas vraiement responsables..."

Je poursuis : par contre je me suis dit "tous ces malades sont des gens comme vous et moi, et c'est encore plus grave... et qu'aurais-je fait à leur place ?" Aurais-je été meilleur ou pire que ces gens, si j'avais été allemand ?

Je suis pas d'accord avec toi quand tu dis que ce livre n'humanise pas le nazisme. Pour moi, il l'humanise, pas dans le sens où il l'excuse mais juste parce qu'il montre bien que chaque action, chaque crime commis par le nazisme l'a été à la suite de décision et d'actes prises et faits par des êtres humains. Ça ne les rend pas moins ignoble.

Mais c'est trop facile de dire "oh, c'étaient des monstres et pissétou"; non, c'étaient aussi de bons pères de familles, comme tous les bourreaux dans l'histoire. Ce sont leurs actes qui en ont fait des monstres (et là je suis à deux doigts de citer ce con de Sartre), pas l'inverse. Ce livre montre donc aussi l'importance de l'éthique personnelle et de la morale dans chacune de nos actions; il montre bien que derrière le système derrière lequel on peut facilement s'abriter, il y a des hommes qui font fonctionner ce système. D'où la responsabilité collective Et humaine.

Adrienintheusa a dit…

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